Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les premiers éléments de la rhétorique et les premiers principes de la versification. Des relations formées dans le monde, et entretenues par un goût commun pour la littérature, le tenoient depuis longues années en correspondance avec Collin d’Harleville et Marsollier des Vivetières, qui fut depuis la féconde providence de l’Opéra-Comique. Une affection beaucoup plus étroite l’unissoit à l’honnête Jacques Cazotte, son aîné de vingt ans, dont il avoit fait la connoissance à Lyon, chez un jeune officier nommé Saint-Martin, thaumaturge passionné d’une philosophie toute nouvelle, qui se recommandoit peu par l’enchaînement des idées et par la clarté des formules, mais qui avoit au moins, sur la triste philosophie du dernier siècle, l’avantage de parler à l’imagination et à l’âme. Mon père, qui étoit né avec un certain penchant pour le merveilleux, n’avoit cependant pas conservé une longue fidélité aux théories des martinistes. Il s’étoit arrêté depuis nombre d’années à des systèmes moins séduisants, mais beaucoup plus positifs, sans cesser d’aimer Cazotte et ses rêveries, sur lesquelles il ne le contrarioit jamais. Le bon Cazotte, qui regardoit cette tolérance quelque peu ricaneuse comme une adhésion formelle, se félicitoit tous les jours de plus en plus de la résipiscence de son adepte égaré, et ses visites se multiplioient en raison de l’opinion qu’il se formoit de ses progrès, car jamais homme ne fut animé d’une plus rare ferveur de prosélytisme. Son arrivée étoit toujours accueillie avec la plus vive satisfaction par notre société ordinaire, qui se composoit, avec les personnes que j’ai déjà nommées, de quelques femmes aimables et spirituelles de la connoissance de ma mère, ou que le hasard avoit réunies dans notre hôtel ; mais il n’y avoit certainement pas un seul habitué de nos veillées à qui elle fût plus agréable qu’à moi. C’est qu’à une extrême bienveillance, qui se peignoit dans sa belle et heureuse physionomie ; à une douceur tendre, que ses yeux bleus,