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I

RÉCIT DE L’AUTEUR[1].


N’entendez-vous pas, mes amis, une voix qui s’élève et retentit dans la postérité de la semaine prochaine, une voix qui crie : « Délivrez-nous du fantastique, Seigneur, car le fantastique est ennuyeux. » Quant à moi, je le trouve depuis longtemps aussi insipide que ces vérités triviales, qui ne valent plus la peine d’être répétées ; et j’ai fait tant de chemin, avec vos romanciers à la mode, sur le dos des serpents ailés, des endriagues et des griffons, que je n’aurois nulle pudeur de m’en délasser un moment sur le roussin de Sancho, si quelque heureuse fortune me le faisoit rencontrer à souhait. Ce seroit un mauvais moyen d’être le bienvenu chez vous, aujourd’hui qu’un conteur n’est pas volontiers admis à vos veillées, s’il ne descend par la cheminée ou n’arrive par la fenêtre ; et comme votre goût capricieux, mobile, et quelquefois hétéroclite, n’en est pas moins l’arbitre suprême de quiconque est réduit à écrire par sa mauvaise étoile et par la vôtre, il faut bien que je me décide à enfourcher encore une fois, bon gré mal gré, un des monstres de votre hippodrome. Cependant, comme mon instinct me ramène, en dépit de mon métier, au naturel et au vrai, je n’ose pas vous promettre de perdre tout à fait de vue les limites de cette terre promise où il me tarde d’être rappelé. Je serois même fort embarrassé de dire positivement si le récit que j’ai à vous faire tient plus du mensonge qui vous amuse que de la réalité qui me charme. C’est ce que vous apprendrez en m’écoutant

  1. Ce morceau a paru dans la Revue de Paris, nouvelle série, année 1836, tome XXXVI.