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LA FILLEULE DU SEIGNEUR[1].



Il y a un an que mes recherches botaniques me conduisirent aux environs d’un petit village qui n’est pas éloigné de Loudun. Une femme d’une quarantaine d’années me rencontra sur la montagne, et s’imagina que je cueillois des simples. J’observai qu’elle avoit envie de me parler, et sans deviner ce qui pouvoit donner lieu à ce désir, j’entrepris moi-même la conversation. Elle me dit alors qu’elle étoit bien malheureuse, qu’elle avoit une jeune fille qui étoit sa seule consolation, qu’elle chérissoit plus qu’elle-même, et qu’elle étoit près de la perdre, car elle étoit malade et abandonnée des médecins. Ensuite de cela, elle me pria en pleurant de la visiter et de ne lui pas refuser mes secours. Il aurait été inutile de m’en défendre ; et pourquoi d’ailleurs lui ravir le charme de ce moment d’espérance, dédommagement stérile, mais si doux, de plusieurs mois d’incertitude et de larmes ?

  1. Cette petite nouvelle a paru pour la première fois dans Les Tristes, ou Mélanges tirés des tablettes d’un suicide, publiés par Ch. Nodier. Paris, Demonville, 1806, in-8. Elle est intitulée dans ce recueil : La nouvelle Werthérie. Ce titre, dans les réimpressions subséquentes, a été remplacé par celui que nous avons reproduit nous-même : La Filleule du Seigneur.