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temps pour lui épargner l’année prochaine de nouveaux labeurs. Si vous l’avez observée, notre hirondelle se prévient volontiers en faveur des figures bienveillantes ; elle se fie, comme une étrangère de lointain pays, aux procédés de bon accueil ; elle aime qu’on ne la dérange pas, et s’abandonne à qui l’aime. Je ne suis pas sûr que sa présence promette le bonheur pour l’avenir, mais elle me le démontre intelligiblement dans le présent. Aussi je n’ai jamais vu la maison aux nids d’hirondelles sans me sentir favorablement prévenu en faveur de ses habitants. Il n’y a là, j’en suis sûr, ni les orgies tumultueuses de la débauche, ni le fracas des querelles domestiques. Les valets n’y sont pas cruels ; les enfants n’y sont pas impitoyables ; vous y trouvez quelque sage vieillard ou quelque tendre jeune fille qui protège le nid de l’hirondelle, et j’irais, un million sur la main, y cacher ma tête proscrite, sans souci du lendemain. Les gens qui ne chassent pas l’oiseau importun et, sa couvée babillarde sont essentiellement bons, et les bons sont heureux de tout le bonheur qu’on peut goûter sur la terre.

— Vous vous appropriez de si bonne foi, et avec de si bonnes raisons, toutes ces croyances du vulgaire, que je serois étonné de vous trouver des objections contre la superstition la plus universelle du genre humain. Cependant, je n’ai surpris en vous qu’un sourire de pitié et un léger haussement d’épaule, quand le garçon de l’auberge a renversé tout à l’heure la salière sur la table. Voilà au moins un préjugé dont votre philosophie ne daigne pas absoudre le peuple ?

— Un préjugé ! s’écria La Mettrie, un préjugé ! répéta-t-il en insistant énergiquement sur le mot. Savez-vous, mon ami, ce que c’est qu’un préjugé ? C’est, ainsi que l’indique son nom, une chose qui étoit jugée avant nous, un principe consacré par l’aveu unanime des nations, et contre lequel il ne reste d’arguments que dans