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le souvenir d’un instant d’ivresse, pas même le sourire d’une innocente créature qui s’éveille à la vie ! Elle ne s’étoit point connu d’amant, et son enfant, elle ne le connut pas.

En effet, et comme elle étoit surprise encore de ce sommeil des sens qui ressemble à la mort, mais qui ne la vaut pas, un jeune homme qui guettoit depuis longtemps, et dès le point du jour, l’époque de l’accouchement clandestin, pénétra dans la chambre d’Hélène entre sa mère anéantie et une vieille servante qui dormoit. Il courut au lit, car on n’avoit pas préparé de berceau, enveloppa le nouveau-né dans le premier linge qui lui tomba sous la main, déposa un baiser frénétique au front de la malade ou de la morte, et puis disparut. L’enquête prouva à n’en pas douter que c’étoit un étudiant des environs de Bourg, « demeurant au logis d’un sien oncle, » et qui avoit servi quelques mois de répétiteur aux jeunes frères d’Hélène. On ne l’a jamais retrouvé.

Lorsque Hélène se réveilla et qu’elle apprit toute sa misère, elle chercha sans doute son enfant, qui n’y étoit plus. Elle n’osa le demander, parce qu’il ne lui sembloit pas qu’elle dût avoir un enfant. Et tout cela s’accumula dans son esprit comme les caprices d’une vision.

Cependant quelque temps après, elle reparut dans la ville et à l’église, accompagnée de sa mère, comme elle avoit fait par le passé. On remarqua seulement qu’elle paroissoit malade, que ses flancs s’étoient abaissés, et que sa physionomie portoit une étrange expression d’étonnement et de terreur. Le châtelain de Bourg-en-Bresse avoit des ennemis comme tous les hommes puissants ; mais cette belle et douce Hélène, elle n’avoit point d’ennemis. On passa quelques jours à recueillir, à échanger, à propager des conjectures sinistres, et bientôt on n’en parla plus. L’instruction que la justice avoit commencée, sur la foi des bruits populaires, s’étoit