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du hasard, envers nous un tort de la nature qui nous a ravi le nôtre. L’indigent aura une fortune, et les parents en deuil auront un fils. Ne vous semble-t-il pas, monsieur, que cela soit ainsi ? Oh ! ne me refusez pas, je vous en conjure, votre intercession et votre appui ! Les grands de la terre peuvent compatir sans déroger à une douleur qui a intéressé la reine du ciel. Je n’ai plus qu’à mourir si vous me rebutez.

En prononçant ces dernières paroles, M. Despin pressoit les mains de M. de Louvois et les mouilloit de ses pleurs.

La nuit s’étoit écoulée en partie dans cet entretien, et M. de Louvois ne pouvoit douter que la résolution du vieillard ne fût invariable. Il entra de bonne heure dans la chambre où Paul, tout habillé, dormoit paisiblement sur un des grabats de l’auberge, et il y retrouva M. Despin à genoux, les yeux avidement fixés sur la vivante image de son fils mort. M. Despin se leva, remit à M. de Louvois l’acte de donation dont il lui avoit parlé, accompagné d’un dédit de la somme de dix mille francs, payable au cas où cette épreuve étrange ne réussirait pas à la satisfaction de toutes les parties, et se retira en lui recommandant pour la dernière fois la négociation dont paroissoit dépendre sa vie, par une inclination respectueuse et par un regard suppliant. Le mouvement qui se faisoit dans la chambre avoit réveillé Paul ; il voulut s’élancer à l’aspect de son maître, et s’excuser de n’avoir pas été plus diligent.

— Reste, lui dit M. de Louvois, et assieds-toi pour m’écouter avec tout le recueillement dont tu es capable. Tu n’as peut-être pas entendu raconter, continua-t-il en souriant, l’histoire de l’homme que la fortune vint surprendre dans son lit, et tu n’imaginerois peut-être pas que ce fût la tienne. Il n’y a cependant rien de plus vrai. Un mot, Paul, et tu vas échanger ma livrée contre le frac d’un gros bourgeois. Un mot, et tu seras riche !