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Mes ressources ne furent pas longtemps à s’épuiser ; mais je croyois en avoir conservé quelques-unes dans mes habitudes de praticien. J’avois vu et nommé une multitude de maladies ; j’avois nommé et conseillé une multitude de remèdes, et ma mémoire ne m’avoit pas abandonné avec le talisman du génie. J’allai donc à travers le monde, cherchant partout des malades, imposant le plus souvent au hasard les définitions de ma pathologie et les recettes de ma pharmacopée, et laissant les traces ordinaires du passage d’un médecin dans les endroits où je passois. J’en eus quelques remords au commencement, parce que j’ai l’âme naturellement sensible ; mais je finis par m’en faire une habitude assez facile, comme les autres médecins, quand j’eus expérimenté, en cent consultations différentes, que les plus huppés de cette savante profession n’en savoient pas plus que moi. Il arrivoit toujours, en dernier résultat, que le malade triomphoit du mal, ou que le mal triomphoit du malade, selon l’arrêt de la destinée ou le caprice de la nature.

J’éprouvai cependant quelques échecs qui compromirent ma réputation, et qui mirent ma sûreté en péril. Je crois qu’il n’en eût pas été question pour un docteur en crédit, dont la considération repose sur une vieille tradition pratique et sur la confiance d’une clientèle honorable. Ceux-là font tout ce qu’ils veulent des infortunés qui tombent dans leurs mains, et l’opinion ne vient pas leur en demander compte ; mais c’est autre chose pour un pauvre médecin sans diplôme, qui n’a pas, comme l’on dit, l’attache du corps enseignant, et le privilège légal d’exercer l’art de guérir, sans avoir jamais guéri personne. On me sacrifia sans pitié dans toutes les villes où je m’étois successivement établi à la basse jalousie de mes confrères, qui se partageoient joyeusement mes malades le lendemain de mon départ, et qui ne manquoient pas de les enterrer en trois jours,