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a donné par excellence, pour me distinguer de la foule des gens qui font profession de science, aux risques et périls de l’humanité, sans s’être jamais signalés par une découverte utile. C’est moi qui avois reçu du génie de la montagne le talisman au moyen duquel on connoît le secret des maladies, et les électuaires spéciaux que la nature a produits pour y porter remède. Il n’avoit probablement pas fait ce choix sans motif, mon inclination m’ayant toujours porté à la recherche de ces arcanes précieux, qui seraient la première des richesses de l’homme, s’il savoit la connoître. Je reçus cette faveur avec joie, parce qu’elle m’ouvroait en espérance un long avenir de fortune et de gloire, et je quittai mes frères sans regret et sans envie. Épris de leur opulence et de leurs avantages personnels, ils jouissoient d’une santé qui ne me donnoit pas lieu de croire qu’ils eussent jamais besoin de moi. J’emportai donc ma part des provisions, et je m’avançai dans le désert en cueillant des simples assortis aux principales infirmités de l’espèce.

Quelques semaines écoulées, mon sac fut plein de spécifiques et vide de provisions. Je me trouvai riche de tout ce qui peut guérir ou soulager les souffrances de l’humanité, à l’exception de la faim ; la faim, ce mal positif, auquel les sages n’ont pu pourvoir jusqu’ici qu’en mangeant. Ce qui me consoloit, seigneur, dans les tourments qu’elle me fit éprouver, c’est que je n’ignorois pas qu’il y avoit beaucoup de savants qui les ont éprouvés avant moi, et, si on s’en rapporte au témoignage des histoires, il n’est pas absolument nécessaire d’aller dans le désert pour en citer des exemples.

J’étois pressé par cette nécessité importune et humiliante, quand mon oreille fut frappée du bruit de quelques voix humaines. Le bruyant délire dont ces voyageurs paroissoient animés me fit d’abord espérer que j’aurois affaire à des malades ; mais je m’aperçus avec une certaine satisfaction, je dois le dire, qu’il n’annon-