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retomboit évanouie sur ses coussins, et que je me couchois sur ma face, éperdu de terreur, comme pour cacher aux assassins dont j’étois entouré les charmes funestes qui avoient causé mon infortune. Je ne savois pas encore combien j’aurois à les maudire.

— Qu’on livre cette indigne esclave aux plus vils de mes serviteurs, dit alors le tyran, et qu’elle ne reparoisse jamais devant moi. Quant à l’impie qui a osé franchir le seuil de ce palais, gardes, emparez-vous du traître, et disputez-vous la gloire de le faire mourir à mes yeux dans les plus horribles tourments. Je donnerai une province du céleste empire à celui d’entre vous dont l’habile cruauté se conformera le mieux aux désirs de ma vengeance !…

Il n’avoit pas fini de prononcer cette sentence, que dix bras vigoureux me saisirent, et que je me trouvai debout au milieu de mes bourreaux furieux. Je vous laisse à juger, seigneur, des angoisses dans lesquelles j’étois plongé, quand la portière qui s’étoit ouverte pour le passage de l’empereur se souleva de nouveau, et laissa paraître la vieille Boudroubougoul. L’infâme esclave, que je regardois déjà comme l’artisan secret de ma perte, s’avança jusqu’aux pieds de l’empereur, se prosterna, et parla ainsi :

— Auguste souverain de la Chine et de toutes les îles du monde, dit-elle, daigne modérer, au nom de ta propre gloire, les justes emportements d’une colère trop fondée, mais à laquelle tu viens d’imposer toi-même des limites qu’il ne t’est pas permis de franchir ! Lorsque je t’ai révélé la trahison de Zénaïb et de son perfide complice, il te souvient, sans doute, que je m’étois réservé, pour prix d’un secret si important à l’honneur de ta couronne, l’assurance d’obtenir la première grâce que j’oserois implorer de toi.

— Il est vrai, répondit l’empereur, et j’en ai pris à témoin les dieux du ciel et de la terre.