Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

foncés brillèrent d’une lumière ardente, et son regard avide supputa d’un clin d’œil plus rapide que l’éclair la valeur de mes meubles et de mes bijoux.

Ses intentions et ses regrets étoient trop manifestes pour échapper, en moi, à cet esprit de prudence, déjà éprouvé, qui est la sagesse et le tourment des riches ; mais ma résolution étoit prise à l’égard des voleurs de cour comme à l’égard des voleurs du désert, et j’étois décidé d’avance à tous les sacrifices, parce qu’il n’y avoit point de sacrifice qui pût compromettre une fortune inépuisable. Je prévoyois d’ailleurs que le calife et le visir seraient obligés d’enfouir une partie de mes richesses ; et comme ils étoient beaucoup plus vieux que moi, je savois bien où retrouver un jour l’or qu’ils m’auraient volé. Ce n’étoit qu’une espèce de dépôt que j’espérois reprendre avant peu, grossi de leurs propres économies.

« Seigneur, répondis-je avec un sourire un peu forcé, quoique mes trésors ne doivent rien à la succession d’Abou-Giafar-Almanzor, premier calife de l’Irak, et que je me fusse fait scrupule d’en recueillir d’autres que ceux qui me viennent de mes pères, je me soumettrai sans réserve aux ordres de notre maître, qui ne peut jamais se tromper ; je le prierai même d’agréer tout ce que je possède, au lieu de la moitié qu’il réclame, heureux que sa bonté souveraine me laisse une natte où reposer ma tête, et un burnouss pour m’envelopper. Je ne prétends en distraire, si votre grâce le permet, que ces deux coupes, chacune d’une seule émeraude taillée par Ali-Taffis, et qui contiennent les diamants royaux de ma famille depuis le règne de Taher-le-Grand. »

« Deux coupes d’une seule émeraude chacune, et toutes remplies de pierres précieuses ! » s’écria le grand visir en bondissant sur mon divan.

« J’avois depuis longtemps destiné ces deux inestimables joyaux, continuai-je sans m’émouvoir, à enrichir