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longue suite d’années, autant de biens que j’en avois amassé jusque-là. Je fis creuser des souterrains d’une étendue prodigieuse pour y enfermer tous les nouveaux trésors que la terre devoit accorder à mes recherches, et je m’abandonnai ensuite à la mollesse et à la volupté, au milieu de mes maîtresses et de mes flatteurs, sans aucune défiance de l’avenir, le service que j’avois rendu au calife me rassurant complètement sur les efforts que mes ennemis pourraient faire pour m’enlever sa protection.

Il s’en falloit cependant de beaucoup que je fusse à l’abri de tout danger, et je n’eus que trop tôt l’occasion de m’en apercevoir. En rendant l’impôt inutile, j’avois irrité les préposés du fisc qui recueillent toujours la meilleure part de tous les impôts possibles. J’avois aigri le sot orgueil de la populace elle-même qui souffre impatiemment qu’on se mêle des affaires, et qui ne veut pas qu’on puisse se flatter de lui avoir imposé l’indépendance et le bonheur. J’avois humilié l’ambition des grands, qui rougissoient de voir leurs honneurs répudiés par un aventurier, et la vanité des riches, dont mes profusions scandaleuses avoient rendu le faste impuissant et ridicule. Loin de me savoir gré de mon refus, le visir le regardoit comme un moyen plus sûr de m’emparer de sa puissance, en l’avilissant dans ses mains, et en me faisant, par des largesses, des créatures dans le peuple. Le calife, indigné de ne pouvoir lutter avec moi de magnificence, avoit épuisé en vain ses ressources et son crédit par des emprunts ruineux, et il se tenoit renfermé depuis quelque temps, sous prétexte de maladie, dans la misère de son palais. Telle étoit la position des choses, quand on m’annonça que le grand visir demandoit à me parler.

J’allai le recevoir en grande pompe, et je l’introduisis, en affectant une humilité insolente, dans le plus riche de mes appartements. C’étoit un homme déjà sur l’âge,