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JEAN-FRANÇOIS-LES-BAS-BLEUS.



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En 1793, il y avoit à Besançon un idiot, un monomane, un fou, dont tous ceux de mes compatriotes qui ont eu le bonheur ou le malheur de vivre autant que moi se souviennent comme moi. Il s’appeloit Jean-François Touvet, mais beaucoup plus communément, dans le langage insolent de la canaille et des écoliers, Jean-François les Bas-Bleus, parce qu’il n’en portoit jamais d’une autre couleur. C’étoit un jeune homme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, si je ne me trompe, d’une taille haute et bien prise, et de la plus noble physionomie qu’il soit possible d’imaginer. Ses cheveux noirs et touffus sans poudre, qu’il relevoit sur son front, ses sourcils épais, épanouis et fort mobiles, ses grands yeux, pleins d’une douceur et d’une tendresse d’expression que tempéroit seule une certaine habitude de gravité, la régularité de ses beaux traits, la bienveillance presque céleste de son sourire, composoient un ensemble propre à pénétrer d’affection et de respect jusqu’à cette populace grossière qui poursuit de stupides risées la plus touchante des infirmités de l’homme : « C’est Jean-François les Bas-Bleus, disoit-on en se poussant du coude, qui appartient à une honnête famille de vieux Comtois, qui n’a jamais dit ni fait de mal à personne, et