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LE LIVRE DE MA VIE

et noble passion de préséance qui régit les réflexes collectifs comme les réflexes individuels. « J’aime la France parce que j’aime les hommes », répétait souvent un savant biologiste, qui voyait en sa patrie la vigoureuse et preste bâtisseuse d’un avenir plus clément à l’humanité.

Un de mes amis, aussi remarquable par son talent littéraire d’une acide pureté toute française que par sa valeur scientifique, et qui, incapable de demander un verre d’eau en aucune langue étrangère, se croit adapté à toutes les nations, était prié, par ses aînés, d’écrire un article de critique ; son impartialité fut parfaite et refléta sa raison acérée. Avec justesse, il indiqua l’infériorité où se trouvait la France en face des autres pays quant à l’organisation des laboratoires et a l’hommage rendu aux savants. Je remarquai que, plusieurs fois parmi ses reproches bien fondes, je trouvai le mot « chez nous ». Ce chez nous, même quand on le gourmande, c’est bien l’endroit du monde où l’on vit, où l’on travaille, ou l’on souhaite amplifier son destin et mourir : c’est un instinctif baiser appuyé sur la joue maternelle.

L’homme ne me semble pas né pour vivre. Les difficultés de sa naissance, sa chétiveté, la plus totale qui soit, son absence de pensée et d’instinct, ce rien de réalisable qui le caractérise font