Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/88

Cette page a été validée par deux contributeurs.

87
LE LIVRE DE MA VIE

moins dominante l’amère parole de Rousseau : « L’haleine de l’homme est mortelle à l’homme », il restera que le fils de la femme est pourtant fils de la terre qui l’a vu naître.

Dans une Europe apaisée, communicante, échangeant ses bienfaits, chaque homme, s’il se connaît soi-même, sera, de corps, d’esprit, de son pays et non point de tous les autres. La plante que l’on transporte de son sol initial dans un sol inconnu, il faut la chloroformer, l’arracher à sa conscience végétale pour qu’elle échappe à la syncope et à la mort. Tels animaux captés en leurs contrées, exilés dans la nôtre, languissent, perdent leur robe lustrée, perdent leur chant, cessent de se reproduire. Comment l’homme, si vaste, ferme et passionné que doive être son amour de tout ce qui est humain, s’évaderait-il de cette suave et délicate prison maternelle ? Il est animal, il est plante. À son insu même, et si généreux, si ascétique qu’il puisse être, il est né pour rechercher la satisfaction. Au sein de la famille humaine, il demeurera l’individu qui veut persévérer en soi, qui, pendant son court passage menacé à travers les éléments et les circonstances, tentera de prospérer, d’augmenter la somme de son plaisir et de sa notoriété. Tel qui se croit détaché du sol natal par un goût généreux de l’universel y est retenu par la connaissance et la délectation du langage paternel, par de fines et fortes exigences organiques, par cette sournoise