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LE LIVRE DE MA VIE

j’entendis le prêtre terminer ses oraisons, lentes à mon gré, par ces mots modulés en longues ondes sonores : Domine salvam fac Rempublicam ! Mots prononcés avec ferveur, supplique adressée au Dieu qui se tient au-dessus des autels, reçoit l’hommage des charbons aromatiques, la fraîche émanation des linges brodés et dépliés avec dévotion.

Ainsi, dans tous les sanctuaires de France, par la voix de tout officiant, on formait des vœux pour la République ! Je venais d’entendre une prière qui s’accordait avec mon cœur. L’atmosphère solennelle et songeuse des églises conquiert aisément la sensibilité sans emploi d’une jeune fille rêveuse. De nettes pensées m’envahissaient. Je me souvins que le précepteur de mon frère, cette année-là précisément, avait fait avec son élève au cours des vacances de Pâques, un voyage en Bohème, en Autriche, dans le Tyrol. Il me racontait la chamarrure, les exigences ou la complaisance du protocole. Aux grands de ce monde allaient les saluts et l’aide empressée que provoquait le texte pompeux de leurs passeports, où leurs titres nobiliaires s’alliaient au nom des souverains autocrates. Le jeune professeur terminait sa description d’une Autriche particulièrement pourvue de fonctionnaires hautains ou serviles par le fier aveu de la désinvolture qu’il éprouvait, lui, homme simple, ayant pour toute opulence son érudition, à sortir de sa poche et à produire le