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LE LIVRE DE MA VIE

et Chateaubriand, par leur âme errante, par quelques-uns de leurs immortels soupirs, toujours propagés, ont occupé le ciel de mon enfance, ses pâturages et ses jardins fruitiers.

Vers ma vingtième année seulement, l’amer enchantement que prodiguent l’œuvre et la vie de Rousseau s’installa dans mon cœur.

Pour être absolument véridique, je ne donnai pas mon adhésion aux aveux complaisants et consciencieux des vices qu’il croit devoir nous apporter comme une corbeille de cerises ou une naïve couvée d’oiseaux. Les choses de l’amour, toutes attachées au corps et que nous revêtons à juste titre des ors spirituels, lorsque le sublime du désir, du bonheur menacé et de la douleur les rend méritoires, ont en chaque être leur modalité, leur embryon de honte, ignoré ou voilé, mais qui commande, agit, choisit, se gave.

Les saintes, les anges, nous feraient, si la divine et nécessaire pudeur ne posait un doigt sur leurs lèvres, des confidences après quoi, la trouble ivresse apaisée, l’existence quotidienne perdrait de son laborieux et digne agrément et de son honneur. Mais il y a, pour séduire la pensée et l’attacher à Rousseau, sa véracité aux dissimulations obscures, ses angoisses inguérissables, les tableaux parfaits, vernissés et comme tangibles, que forment les récits des Confessions, et, enfin, ces Rêveries d’un Promeneur solitaire où la simplicité des aveux