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LE LIVRE DE MA VIE

noble fermeté attachait au destin du comte de Chambord et au culte du drapeau blanc. L’aventure historique et infortunée du drapeau blanc me stupéfia ; mon esprit ne pouvait concevoir l’inopportunité ; je la blâmais, je l’opposais au jovial « Paris vaut bien une messe », de l’agissant Henri IV. Un attrait puissant, invincible pour ce qui réussit, n’est pas stérile, porte des fruits, me souleva contre une préférence que la chance devait léser. Et puis, le drapeau tricolore m’avait parlé son langage violent et résolu ; je le voyais aussi flotter familièrement au haut des mâts qui ornaient le petit port de notre jardin d’Amphion. Comment n’eussé-je pas pris en pitié le vieil homme respectable qui voulait lui substituer un linceul ?


Sans fanatisme, ― en cela je devais, un jour, différer d’eux, ― mon père et ma mère aimaient, l’un comme l’autre, rendre hommage aux personnalités considérables, quelle que fût la situation sociale qu’elles occupassent. Par eux, j’ai connu, ressenti et conservé cette passion de l’unique, qu’un philosophe a résumée en cette phrase inattaquable : « L’humanité vit en peu d’êtres. » Le sentiment de respect qui nous attache à la supériorité et nous élève au niveau de l’exceptionnel, passe au-dessus du médiocre, vient rejoindre la foule, s’y mêler, combattre avec elle pour ses justes besoins, pour sa sagesse que le nombre même fonde. Son idéal, re-