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LE LIVRE DE MA VIE

Heine, non sans s’adresser à lui-même de gais sarcasmes, étaient tout imprégnées de sagesse latine.

Énorme abeille virgilienne du verger de Mistral, habitué à bondir et à bruire confusément parmi les aromates et les hautes tiges de citronnelles de l’enclos du poète insigne, nul plus que lui n’était adapté à la vie. Penser à lui, c’était s’accommoder du sort, renoncer à toute métaphysique, repousser le sentiment de l’infini, qui empêche que l’esprit ne se satisfasse du bon sens.

À l’époque, tout enfantine encore pour nous, où l’illustre Paderewski dorait nos journées par sa grâce magnanime et nous bouleversait par la solennité de ses concerts que l’on fréquentait comme un temple aux heures saintes, eut lieu à Paris l’Exposition Universelle.

Ainsi, parfois, le bonheur s’amplifie. Cette éclosion secrète, ce brusque épanouissement de tous les sites énigmatiques sur le terrain du Champ de Mars fut pour moi le commencement exaltant de la possession du monde, que jusqu’alors je n’avais connu qu’en m’emparant rêveusement de la beauté des paysages du lac Léman. J’avais, dès l’enfance, fait alliance avec l’univers par les matins de bleu cristal, la pureté tiède et neigeuse de l’air, la surface poétique de l’eau, d’où je m’attendais à voir