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LE LIVRE DE MA VIE

allure de vagabond de race noble et fière qui semblait être arrivé lentement, jour après jour, de cette Pologne des rois où tout ce qui est marqué du signe de la supériorité s’adjuge avec simplicité et bonhomie le droit à l’amour-propre suprême ! Il me semblait que le jeune homme étrange, pressentant notre tendresse, était venu vers nous par les routes de Podolie et de Lithuanie, usant, dans la chaude poussière ou dans le froid de l’hiver qui tue et fait choir les oiseaux, ses bottines à élastiques, dont la forme inusitée moulait un pied de pâtre grec, tel que le propose en exemple l’École des Beaux-Arts. Perruqué de lumière (ainsi parlait Ronsard), les yeux accordés avec les étoiles, un mage nous était présenté ; nous l’aimâmes.


La vie de l’hôtel de l’avenue Hoche fut désormais détournée de la monotonie. Nous ressentions, avec l’impression d’éternité qui s’attache au bien-être, l’allégresse goûtée sur les sommets du rêve, atteints d’un bond, et qui offraient leur hospitalité comme si l’altitude, s’aplanissant, se déroulant, permit qu’une cité heureuse jetât sur la hauteur ses fondations.

Il n’est personne, dans la demeure, qui ne rendit grâces au miracle de la présence du jeune homme sensible et forcené. La dépensière agilité de l’être qui l’animait enrichissait de biens spirituels toute créature que ses yeux distinguaient. En franchissant