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LE LIVRE DE MA VIE

cun et de tout un peuple. Rêveuse, je me sentais responsable de ne pouvoir réparer la catastrophe. Le nom de Bismarck traversait les conversations à la manière d’un fléau humain qui avait contristé la conscience du monde, nui à la patrie du soldat de fer comme à celle qu’il avait vaincue ; celui du fils de Guillaume Ier, Frédéric, époux de l’impératrice Victoria, dévouée aux coutumes de sa natale Angleterre, s’enveloppait, au contraire, d’anecdotes sympathiques. Les voix changeaient de ton en parlant de lui ; on citait ses mots historiques empreints de générosité et de compassion. J’étais étonnée, mais contente, dans mon souhait de conciliation, dans mon amour de tout, qu’on pût avoir combattu, être fils d’empereur, héritier d’une charge cruelle, et obtenir autour de la table d’Amphion l’hommage de nobles paroles.

Ma mère était parfaitement belle, sans excès de lueur, avec modération, comme l’exige le dessin grec. Son profil célèbre, à qui allaient les louanges méritées par l’exceptionnel, la netteté des modelés, l’encadrement du précis regard sont un témoignage de la durabilité des vertus physiques dans la race. Ma mère ressemblait, sans nul défaut, aux gracieuses Vénus des musées d’Athènes, de Florence, de Naples, de Sicile ; mais l’expression de son visage décelait une naïveté rieuse, un repos innocent dans le charme, qui ne l’apparentaient