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LE LIVRE DE MA VIE

On avait engagé une maîtresse de français réputée pour sa culture littéraire : Mme Colin. Les preuves que j’avais données de mon amour de la poésie, ma facilité, dès mon plus petit âge, dans les narrations, attiraient sur moi l’attention de nos amis. Mais, il faut le dire, quelque bonne volonté que l’enfant mette à s’instruire, et si studieux qu’il se dispose à être, l’ennui se glisse avec le professeur dans la chambre où des petites filles sont sommées, à heure fixe, d’abandonner leurs jeux, leurs lectures, leur nonchalance, pour se plier aux exigences d’un programme rigoureusement établi. Le choix fait par Mme Colin dans les œuvres du talent ou du génie était soumis au goût de l’époque : Casimir Delavigne restait le modèle du lyrisme bienséant, et telle originalité due à un auteur dont le nom m’échappe et dont le poème portait ce titre saisissant : Le Peintre Robert perdu dans les Catacombes, offrait un vers dont Mme Colin prenait avec audace la responsabilité d’affirmer la valeur :

Il ne voit que la nuit, n’entend que le silence !

Cette image était contestée par ceux de nos amis qui se réclamaient de la raison ; j’osai affirmer mon estime envers cet alexandrin téméraire ; j’y distinguais une habile confusion qui marquait, avec indigence peut-être, une recherche d’abondance chère à mon désir d’évocations nombreuses.