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CHAPITRE X


À bord de l’Aurora. — Notre gouvernante allemande. — Correspondance avec l’Orient. — Mme Colin, maîtresse de français. — De Chateaubriand à Émile Zola. — La musique et la poésie.



Notre départ d’Arnaout-Keuï fut fixé pour le début d’octobre ; ma mère échangeait avec son père des adieux que chacun d’eux devinait sans retour. Cette tristesse non formulée, jointe à l’affairement que procuraient une vingtaine de malles entrouvertes, ne me laisse qu’un souvenir confus. Je retrouve des images exactes en revoyant dans ma mémoire, toute notre famille, mon grand-père excepté, se dirigeant vers le port de Galata où était amarré seul et sous pression, dépensant la vapeur, la fumée et la flamme, le bateau destiné à notre rapatriement : l’Aurora. C’était un pauvre bateau noir et roux que le Bosphore sertissait de ses flots du soir, pourpres et dorés. Le désordre et l’organisation du départ, recherchant un difficile équilibre, groupaient sur l’embarcadère les voyageurs soucieux de leurs bagages et les portefaix, dont l’empressement maladroit menaçait sans cesse les malles et les paquets.