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LE LIVRE DE MA VIE

de loin, chargé de nouvelles angoissantes, était soudain retombé ; si le télégraphe, aux communications aériennes, rassuré enfin, s’était tu ; si le calme s’était rétabli trop vite, apportant la ponctualité inexorable des leçons, des repas, du coucher, j’eusse ressenti une déception, que l’âme, dans son besoin de surprises et d’aventures, redoute. Ce sentiment fugitif me traversait confusément, sans faire partie de moi-même, tandis que les gouvernantes, préoccupées et parlant à voix basse, nous laissaient user de la balançoire, allégeant notre sort des habituelles réprimandes, dont l’absence, cette fois, éveillait notre défiance. On nous apprit brusquement que notre mère partait le soir même pour Paris, l’état de santé de notre père s’étant aggravé. La maison se vida de ses hôtes ; les femmes de chambre nous éloignaient du corridor en émoi, afin de transporter en hâte et librement, jusqu’aux casiers étalés des malles, les toilettes, la lingerie, tout le contenu des nombreuses armoires. Prête pour le départ, notre mère, au visage soudain immobile et consterné, ne nous fit pas d’adieux. Enfin, nous nous trouvâmes à l’heure du dîner, ma sœur et moi, dans une salle à manger froide, qu’on ne prit pas la peine d’éclairer suffisamment, et entourées de serviteurs sans contrainte, lesquels amenaient à leur suite, autour de nous, bien qu’à distance, les bateliers, les jardiniers de notre propriété sans surveillance. En un instant, nous fûmes assises à la