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LE LIVRE DE MA VIE

sécheresse casanière de l’arbre généalogique.

Soudain, la nouvelle d’une maladie subite de mon père se répandit dans notre maison. L’alarme, à la manière d’une rumeur assourdie, d’une anxiété brouillée et indéchiffrable, parvenait jusqu’à ma sœur et à moi. Les télégrammes, en ce temps-là peu rapides, arrivaient par le facteur, d’Évian à notre villa d’Amphion. Nos hôtes de l’été, qui occupaient la demeure, s’ingéniaient, nous le devinions en surprenant leurs conversations accompagnées de gestes emportés et négatifs, à rassurer ma mère. Ils lui tenaient ces ignorants propos dont le but est d’embarrasser et de contredire la révélation progressive de la vérité. L’annonce inquiétante faite à ma mère et à son entourage par les messages expédiés de Paris semblait se maintenir fièrement à leur hauteur, ne descendre que lentement et par lambeaux jusqu’aux petites filles placées au bas de la vie commençante. Cependant, d’heure en heure, la gravité du mal qui terrassait mon père augmentait. On nous abandonnait à notre curiosité triste, à nos suppositions sans paroles. La vie quotidienne de l’enfant, quand ne survient aucun événement, est parfois chose si morose, que le remuement causé par l’angoisse circulant dans la demeure pose devant son esprit une interrogation, un inconnu, et, j’ose le dire, une sorte d’espoir désespéré de changement qui l’agite, sans qu’il puisse définir son trouble. Oui, si le vent vif venu