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LE LIVRE DE MA VIE

Lorsque, plus tard, je lus Nietzsche, dans la félicité qu’octroie ce discourant soleil, je lui fus reconnaissante de cette phrase de charité suprême : « Le véritable orgueilleux est celui qui ne supporte pas qu’on humilie un homme devant lui. »


Probablement est-ce l’agilité de mon cœur vers l’espace, l’attraction des astres dont j’observais, comme en prière, la palpitation et les balbutiements scintillants, mon amour de l’équité, qui me firent écrire dans un cahier, où, jeune fille, je consignai les réflexions de ma solitude : « Rien ne m’émeut davantage que la vue du ciel étoilé et le sentiment de la justice dans le cœur de l’homme… » Un de mes amis les plus chers recueillit plus tard cette page, en m’affirmant que Kant avait employé à peu près les mêmes mots. Quoi ! lui si haut, lui si loin, Kant de Kœnigsberg, le promeneur ponctuel que l’on vit déroger à ses coutumes et faire un inconcevable détour à la nouvelle de la Révolution française, le philosophe au nom toujours présent, dont la sonorité brève et dure frappe l’esprit comme une clé qui a le pouvoir d’ouvrir la porte de toutes les métaphysiques, avait eu, un instant, le même cœur qu’une enfant de quinze ans ? Je ressentis un muet orgueil à constater la rencontre et le rapprochement des regards dans la nue et dans la profondeur de la conscience humaine.