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LE LIVRE DE MA VIE

innocent vers les cieux de Savoie, me jetaient en eux et semblaient m’y fixer parmi la liquide palpltation des étoiles du soir.

Pendant ces promenades au crépuscule paisible. nous voyions, parfois, venir de loin un pauvre homme dépenaillé, soutenu et dirigé un peu brutalement par deux gendarmes savoyards aux bons visages lustrés. Le groupe aperçu à distance par moi, qui voyais aussi nettement l’amplitude de l’horizon que les délicates et fermes coutures de l’épi de blé et que le gonflement du col chantant d’un roitelet sur la branche d’un sapin évasée en panache d’écureuil, me causait une souffrance aiguë. Je ne haïssais pas les gendarmes agrestes, dociles envers d’invisibles décrets, mais j’aimais leur prisonnier.

Pauvre homme ivre, sans doute, ou triste indigent ayant dérobé quelque objet à l’étalage d’un bazar. L’avait-il voulu, ce méfait pour lequel il trébuchait entre deux étreintes énergiques, sur la route où périssait, aux yeux des passants, son maigre et modeste honneur ? Et quelle créature a voulu quoi que ce soit que la destinée antérieure et la chaîne des événements ne l’aient inexorablement préparé pour elle ?

Compassion et pardon pour tous, — dange-