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fondue et dissoute de douleur ne m’incitât pas à l’indulgence, et à affaiblir en elle-même, par ma propre défaillance, la puissance de réaction et d’énergie que le cœur de nos sœurs possède au même degré qu’un soldat, sur le champ de bataille, sait endurer la faim et la mort. Mais celle-ci, que je voyais étendue, presque exsangue, sur les coussins d’un divan en turquerie, dans sa demeure fastueuse et triste, ne pleurait pas. Elle m’accueillit avec une hâte du regard que je n’ai vue qu’aux mourants lucides, qui implorent un suprême secours ou cherchent à transmettre, d’un clin d’oeil, leur dernier vœu ici-bas.

Oui, elle me vit entrer comme on voit arriver son frère d’armes, celui qui va comprendre, qui pense comme nous, qui sait, qui saura bien, qui nous aidera, qui va organiser notre salut.

A peine m’eût-elle prié de m’asseoir, se fût-elle, avec une sincère vivacité, enquise de ma fatigue, m’eût-elle interrogé sur mon voyage et sur la possibilité de m’offrir quelque nourriture, qu’elle aborda le sujet que je voyais brûler derrière ses yeux. D’un long regard circulaire, elle s’assura que nulle porte ne pouvait être demi-ouverte, que nul être ne pouvait nous observer, et puis, paisible, forte, emplie de ses raisons, reine enfin, elle m’expliqua pourquoi elle m’avait appelé. Elle insista, d’abord, sur ce fait qu’elle me