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cruautés de la jalousie ; non, mon amour, tu t’en souviens bien, au sein même de l’ardeur nous fûmes paisibles et reconnaissants.

Et puis il a fallu que tu partes pour te marier, pour ce mariage que je t’ai défendu de briser, et ce n’est point de cela que j’ai souffert, car j’étais sûre de toi contre ta fiancée, contre ta femme. Je t’ai prié d’être prodigue et bon pour cette jeune fille que tu avais choisie avant que je ne vinsse, et c’est bien exact que je la soutiens dans ton cœur, qui m’appartient. Mais par l’absence la mélancolie vient cerner peu à peu cette île de l’esprit où je te rejoignais. Nous fûmes heureux, je ne le sens que trop, toi aussi : alors qu’allons-nous devenir ? Combien de temps allons-nous être séparés ? Je tremble de compter les jours.

— Ô difficile saison de l’été, effusion de l’azur sans défaut, montagnes roses et grises, troupeau des arbres confondus, dormant heureux sous le réseau immense de la chaleur d’argent, pétillante de bouillonnements, miel bas et stagnant des prairies herbues et fleuries, eau bleue des lacs, étalée comme une turquoise fondue, et appuyée à la géométrie baroque des rives, des roches, des épais roseaux, provocation de la nature, vous ne me touchez plus ! Je détourne de vous mon visage, qui a connu l’ombre étroite du bonheur, les ténèbres où se meuvent les