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Les battements du cœur et les beaux paysages,
L’ouragan et l’éclair baisés sur un visage,
L’oubli de tout, l’espoir invincible, et plus haut
L’extase d’être un dieu qui marche sur les flots ;
La gloire d’écouter, seule, dans la nature,
L’universelle Voix, dont la céleste enflure
Proclame dans l’azur, dans les blés, dans les bois,
« Âme, je te choisis et je me donne à toi, »
Tout cela qui frissonne et qui me fit divine,
Je ne le goûterai que comme un front s’incline
Sur le miroir, voilé par l’ombre qui descend,
Où déjà s’est penché son rire adolescent…
Mais la fougueuse vie en mon cœur se déchaîne :
Ô son des Angélus dans les faubourgs de Gênes,
Tandis qu’au bord des quais, où règne un lourd climat,
Les vaisseaux entassés, les cordages, les mâts,
Semblent, dans le ciel pâle où la chaleur s’énerve,
De noirs fuseaux, tissant la robe de Minerve !
Vieille fontaine arabe, au jet d’eau mince et long,
Exilée en Sicile, en de secrets vallons.
Soirs du lac de Némi, soirs des villas romaines,
Où la noble cascade en déroulant sa traîne
Sur un funèbre marbre, imite la pudeur
De la Mélancolie, errante dans ses pleurs,
Et qu’un faune poursuit sur la rapide pente…
Muet accablement d’un square d’Agrigente :
Jardin tout excédé de ses fleurs, où j’étais
La Mémoire en éveil d’un monde qui se tait.