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un jour, on avait tant souffert…

Si je suis, au milieu des raisins de l’automne,
Un arbre foudroyé que la récolte étonne,
Je ne connaîtrai plus ces supplices charnels
Qui sont, de l’homme au sort, un reproche éternel.
Calme, lasse, le cœur rompu comme une cible,
J’entrerai dans la mort comme un hôte insensible…

— Mais les fureurs, les pleurs, les cris, le sang versé,
Les sublimes amours qui nous ont harassés,
Les fauves bondissants, témoins de nos délires,
Ont suivi lentement le doux chant de la lyre
Jusque sur la montagne où nous nous consolions ;
Les voici remuants, les chacals, les lions
Dont la soif et la faim nous font un long cortège…
— J’avais cru, mon enfant, que le passé protège,
Que l’esprit est plus sage et le cœur plus étroit,
Que la main garde un peu de cette altière neige
Que l’on a recueillie aux sommets purs et froids
Où plane un calme oiseau plus léger que le liège.
Mais hélas ! quel orage étincelant m’assiège ?
Lourde comme l’Asie et ses palais de rois,
Je suis pleine de force et de douleur pour toi !