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UN JOUR, ON AVAIT TANT SOUFFERT…


Un jour, on avait tant souffert, que le cœur même,
Qui toujours rebondit comme un bouclier d’or,
Avait dit : « Je consens, pauvre âme et pauvre corps,
À ce que vous viviez désormais comme on dort,
À l’abri de l’angoisse et de l’ardeur suprême… »

Et l’on vivait ; les yeux ne reconnaissaient pas
Les matins, la cité, l’azur natal, le fleuve ;
Toute chose semblait à la fois vieille et neuve ;
Sans que le pain nourrisse et sans que l’eau abreuve
On respirait pourtant, comme un feu mince et bas.
Et l’on songeait : du moins, si rien n’a plus sa grâce,
Si ma vie arrachée a rejoint dans l’espace
Le morne labyrinthe où sont les Pharaons ;
Si je suis étrangère à ma voix, à mon nom ;