Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/347

Cette page a été validée par deux contributeurs.
347
je vivais. mon regard comme un peuple…


Tout m’était turbulence ou tristesse attentive ;
La mort faisait partie heureuse des vivants,
Dans ces sphères du rêve où mon âme inventive
S’enivrait d’azur et de vent !

Ainsi, sans rien connaître, ainsi, sans rien comprendre,
Maintenant l’univers comme sur un brasier,
Je contemplais la flamme et j’ignorais les cendres,
Ô nature ! que vous faisiez.

Je vivais, je disais les choses éphémères ;
Les siècles renaissaient dans mon verbe assuré,
Et, vaillante, en dépit d’un cœur désespéré,
Je marchais, en dansant, au bord des eaux amères.

À présent, sans détour, s’est présentée à moi
La vérité certaine, achevée, immobile ;
J’ai vu tes yeux fermés et tes lèvres stériles.
Ce jour est arrivé, je n’ai rien dit, je vois.

Je m’emplis d’une vaste et rude connaissance,
Que j’acquiers d’heure en heure, ainsi qu’un noir trésor
Qui me dispense une âpre et totale science :
Je sais que tu es mort…

1907-1913.