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je vivais. mon regard comme un peuple…


La justice, la paix, les moissons, les batailles,
Toute l’activité fougueuse des humains,
Contractait avec moi d’augustes fiançailles,
Et mettait son feu dans ma main.

Comme le prêtre en proie à de sublimes transes,
J’apercevais le monde à travers des flambeaux :
Je possédais l’ardente et féconde ignorance,
Parfois, je parlais des tombeaux.

Je parlais des tombeaux, et ma voix abusée
Chantait le sol fécond, l’arbuste renaissant,
La nature immortelle, et sa force puisée
Au fond des gouffres languissants !

J’ignorais, je niais les robustes attaques
Que livrent aux humains le destin et le temps ;
Et quand le ciel du soir a la douceur opaque
Et triste des étangs,

Je cherchais à poursuivre à travers les espaces
Ces routes de l’esprit que prennent les regards,
Et, dans cet infini, mon âme, jamais lasse,
Traçait son sillon comme un char.