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Puisque, Dieu d’Orient, opulent et cruel,
Vous n’aimiez du sol noir où les hommes expirent
Que ces tapis de fleurs, ces châles sensuels
Bariolés ainsi que de lourds cachemires,

Pourquoi nous avez-vous placés dans ces jardins
Où, l’esprit enfiévré de naïve puissance,
Ignorant votre immense et nonchalant dédain
Nous cherchons à goûter votre invisible essence ?

— Pauvres gladiateurs qui n’ont droit qu’à la mort,
La splendeur de l’espoir nous entraîne et nous broie ;
Quel but assignez-vous au courage, à l’effort,
Puisque l’homme n’est pas désigné pour la joie ?

Du haut de vos balcons, sur les divans des cieux,
Le bras traînant au bord des pompeuses nuées,
Vous regardez, Sultan d’Asie aux cheveux bleus,
La sombre armée humaine, avide et dénuée.

Vous savez que l’homme est l’esclave révolté,
Celui dont le désir a dépassé vos règles,
Et dont l’esprit, plus haut que la sérénité,
A le frémissement des prunelles de l’aigle.