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LE DESTIN DU POÈTE


« Ô Perséphone donne-nous un courage invincible. »
Eschyle.


C’était un matin chaud, serein, religieux,
Dans cette ombre bleuâtre où l’homme naît ; les dieux
Tenaient entre leurs mains une âme qui tressaille,
Qui s’éveille et s’émeut. Les dieux disaient : « Qu’elle aille,
Luttant contre les vents et le nuage obscur,
Dans l’azur et toujours plus avant dans l’azur !
Qu’errante, mais encore à nos cieux retenue,
Elle vive les bras étendus vers la nue,
Ne pouvant oublier et ne pouvant saisir
Le souvenir épars de l’immortel plaisir ;
Qu’elle aille, épi de blé que l’univers va moudre,
S’attachant au soleil, s’attachant à la foudre ;
Qu’innocente, et croyant à la bonté du jour,
Elle répande en vain son ineffable amour,
Et que toute sa joie, enivrée, abattue,
Retombe sur son cœur comme un fardeau qui tue !