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les soirs de catane


Comme un tiède ouragan presse et distend les roses,
Le soir faisait s’ouvrir les maisons, les rideaux ;
Des balcons de fer noir emprisonnaient les poses
Des nostalgiques corps, penchés hors du repos,
Comme on voit s’incliner des rameuses sur l’eau…

Des visages, des mains pendaient par les fenêtres,
Tant les femmes, ployant sous le poids du désir,
S’avançaient pour chercher, attirer, reconnaître,
Parmi les bruns garçons qui flânaient à loisir,
Le porteur éternel du rêve et du plaisir…

Tout glissait vers l’amour comme l’eau sur la pente.
Le ciel, languide et long, tel un soupir d’azur,
Étalait sa douceur langoureuse et constante
Où gisaient, comme l’or dans un fleuve ample et pur,
Les jasmins safranés mêlés aux citrons mûrs.

L’espace suffoquait d’une imprécise attente…

Élégants, débouchant de la rue en haillons,
Des jeunes gens montaient vers le bruyant théâtre
Que d’électriques feux teintaient de bleus rayons.
Leur hâte ressemblait à des effusions,
Chacun semblait courir aux nuits de Cléopâtre.
Des mendiants furtifs, quand nous les regardions,
Nous offraient des gâteaux couleur d’ambre et de plâtre.