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LE MEURTRIER


Est épaissi de sang ! Sait-il, ce rossignol,
Ce dieu de « l’Héroïque » et de la « Pastorale »,
Pourquoi les vergers ont une odeur sépulcrale,
Pourquoi le clair de lune est cette nuit voilé
Par de rouges lueurs ? Pourquoi l’air est brûlé ?
Pourquoi ce bruit tonnant ? Pourquoi les cathédrales.
Où la Musique trône à la droite de Dieu,
S’arrachent en fusée et remontent aux cieux ?

Dans l’empire allemand, désormais, quel silence !
Les morts qui furent grands sont des juges. Ils ont
Le droit de refuser d’indicibles affronts.
Et je les ai vus tous incliner vers la France.
La pâleur d’outre-tombe a rougi sur leur front.
Ceux qui portaient la lyre et ceux qui chantaient l’ode
Ont entrepris le juste et le suprême exode
Hors des âpres combats, cruels et sans honneur.
Par les coteaux sanglants, les fleuves, les hauteurs,
Ils s’en vont. L’Allemagne oscille sous son trône.
La France déchirée a, dans ses flancs ouverts.
L’avenir plein d’amour, d’espoir, de lauriers verts.
Et Gœthe a rencontré sous l’ombrage des aulnes,
Dont les voix lui versaient un frisson triste et fort,
— Car le crime guerrier est vaste, et se prolonge
Des chemins de la terre à la ligne du songe —
Un homme qui fuyait avec son enfant mort...



Octobre 1914