Page:Noailles - Les Forces éternelles, 1920.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LES BLESSÉS



Ainsi, pour avoir vu d’autres hommes, des hommes
Ont ces regards tachés de sang, ces yeux de loup,
Ce fier entêtement, ces rires économes,
Ces méplats basanés, rouilles comme des clous,
Et ce muet dédain de la vie où nous sommes…

Pour avoir approché des hommes, ces humains
Sont comme des métaux tirés de l’incendie.
Déchirés, entr’ouverts, roussis, ils ont les mains
Toutes lourdes encor de besognes hardies,
Et qui gardent le poids calme d’avoir tué.
— Ils ne nous diront pas, ces yeux accentués,
Quelle horreur ont marquée en leurs sombres pupilles
Le géant ennemi, la faim, le sac des villes,
L’obus épars en feu, les froids couteaux entrant
Dans la laine et la chair des poitrines, offrant
Pour une mort auguste, acharnée et difforme.
L’honneur simple et sacré du commun uniforme.
Bleus et rouges, mourant pour ces seules couleurs,
Sans rien interroger, comprenant que l’honneur