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CHANT DIONYSIEN

Le parfum pour monter prend les ailes du vent,
La guêpe fait pencher le bord blanc des corolles,
L’air enlace à mon cou ses douces banderoles,
L’univers s’abandonne et veut être porté
Par les bras azurés et tendres de l’été…
Ah ! quelle immense joie en cet instant m’enivre.
Vivre ! chanter la gloire et le plaisir de vivre !
– Et puisqu’on n’entend plus, ô mon Bacchus voilé,
Frissonner ton sanglot et ton désir ailé,
Puisqu’au moment luisant des chaudes promenades
On ne voit plus jouer les bruyantes Ménades,
Puisque nul cœur païen ne dit suffisamment
La splendeur des flots bleus pressés au firmament,
Puisqu’il semble que l’âpre et l’énervante lyre
Ait cessé sa folie, ait cessé son délire,
Puisque dans les forêts jamais ne se répand
L’appel rauque, touffu, farouche du dieu Pan,
Ah qu’il monte de moi, dans le matin unique,
Ce cri brûlant, joyeux, épouvanté, hardi,
Plus fort que le plaisir, plus fort que la musique,
Et qu’un instant l’espace en demeure étourdi…