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LA PRIÈRE DEVANT LE SOLEIL

Nul ne vous a d’un geste ardent et sibyllin
Entouré de ses bras, gerbe de blé divin !…
Moi seule, en vous voyant, je prie et je chancelle.
Il semble qu’en mon cœur un aigle ouvre ses ailes,
Et qu’en roses l’été fait éclore mon sang,
Quand vous apparaissez, beau Soleil jaillissant !
— Ô masque d’or par où l’éternité regarde,
Quand mon trop doux plaisir au bord de vous s’attarde
J’ai quelquefois souffert d’indicibles tourments,
D’ailleurs je ne veux pas qu’on vous aime autrement
Que d’un âpre vertige et d’une ivresse telle
Que, la sentant si vive, on la sente mortelle…
Ô Lumière ! ô science ! ô source ! ô vérité !
Rien, hors vous, n’est pareil de ce qui a été ;
La face juvénile et chantante du monde
N’a plus sa même grâce au miroir vert de l’onde,
Les forêts d’autrefois jettent d’autres rameaux,
D’autres vaisseaux s’en vont et passent sur les eaux,
La secrète montagne a sa robe défaite,
Des trains sourds ont ému les routes inquiètes,
Des villes sans douceur baignent leur flanc amer
Dans le regard vivant et sacré de la mer.
— Mais vous, attendrissant, inlassable, fidèle,
Vous êtes demeuré le même au-dessus d’elle !
Vous, assis dans l’espace où nul oiseau n’atteint,
Vous brillez comme aux eieux de Jupiter latin ;
Vous êtes comme au temps où dans la belle Athènes
La coupe de sagesse et de joie était pleine ;
Comme au jour où dansait l’enfant Septentrion