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VOLUPTÉ


Quel soir ! Le ciel est sombre et l’on parle à voix basse,
La chaleur, le parfum combattent dans l’espace ;
Une étoile que frappe et blesse le vent vert,
Se fatigue à tenir son œil brillant ouvert.
Le ciel triste, alourdi d’orage et de nuée,
Rabat sur les chemins, dans l’ombre exténuée,
Les parfums exaltés des rosiers amoureux,
Des sanglotants rosiers qui se plaignent entre eux.
Les épais marronniers, aux fleurs fortes et molles,
Sont de puissants vaisseaux chargés de girandoles ;
Je sens flotter sur moi mes désirs haletants
Comme la blanche haleine au-dessus des étangs…
Ô soir mortel et doux, noir Eros, je m’enfonce
Dans ton ombre démente et plaintive, où des ronces.
S’attachent à mon bras, s’attachent à mon pied
Et me font défaillir d’amour extasié…
Mais si ce soir m’épuise et s’il me décompose
Qu’importe ! levez-vous, parfum divin des roses !