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LES TERRES CHAUDES

 

Immense stagnance du temps,
Torpide, verte, lourde extase,
Odeur du sol et de la case,
Herbages mous comme un étang.

Tristesse, quand la nuit s’avance
Avec ses bonds, ses cris déments,
De songer à des soirs charmants
Dans la Gascogne ou la Provence,

Et soudain, salubre parfum
D’un navire aux joyeux cordages
Qui glisse vers de frais rivages
Avec ses voiles de lin brun !

Ô beauté de toute la terre,
Visage innombrable des jours,
Voyez avec quel sombre amour
Mon cœur en vous se désaltère !

Et pourtant il faudra nous en aller d’ici,
Quitter les jours luisants, les jardins où nous sommes,
Cesser d’être du sang, des yeux, des mains, des hommes
Descendre dans la nuit avec un front noirci,

Descendre par l’étroite, horizontale porte,
Où l’on passe étendu, voilé, silencieux
Ne plus jamais vous voir, ô Lumière des cieux
Hélas je n’étais pas faite pour être morte…