Page:Noailles - Les Éblouissements, 1907.djvu/405

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
400
NATURE QUE JE SERS…


Tandis qu’on voit briller et s’émouvoir plus bas
Le feuillage du buis, du chanvre et du tabac.
La brise est une barque errante qui transporte
Des amoureux désirs la brûlante cohorte.
La biche aux yeux d’émail soupire au fond des bois,
En renversant le cou, comme un oiseau qui boit.
Et le cœur, le cœur triste et mystique des hommes
Est pris dans cet azur, dans ce miel, dans ces gommes…
Combien de fois a-t-on souhaité de mourir
Pour échapper au sombre et déchirant désir
Qui vient du soir luisant, des eaux, de la verdure ?
Mais vous ne lâchez pas les jeunes corps, Nature
Vous les gardez, vous les baignez d’embrassements
Vous groupez, vous mêlez, vous joignez les amants,
Vous leur faites plaisir au milieu des tortures,
Vous riez, vous semblez les protéger, Nature !
Vous leur cachez la peur, le mensonge et la mort,
Vous parfumez leurs mains, vous brûlez sur leurs corps,
Jusqu’à ce que dans l’ombre épaisse de vos voiles
Un peuple naisse, ainsi qu’un million d’étoiles…
– Hélas ! c’est donc ta seule et grave volonté
La Volupté, l’immense et triste Volupté !