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NATURE QUE JE SERS…


Nature que je sers avec tant de courage,
Je veux te rendre enfin un plus touchant hommage,
Et dire, ivre d’odeur, de soleil et d’azur,
Quelle flèche a percé mon cœur brûlant et pur.
Je veux dire avec quelle épuisante tristesse
J’ai chanté ton plaisir, ta joie et ta jeunesse,
Car, louant et baisant ton éclatant décor,
Je sais bien que c’est toi la détresse et la mort.
– Quand la tulipe gonfle et que l’épine est blanche,
Quand l’acacia tend du geste de sa branche
Une grappe qui semble être un lampion fleuri,
Quand l’herbe a des parfums émouvants comme un cri,
Et que ta plaine verte, heureuse, reposée,
Semble goûter l’azur et boire la rosée,
Je sais qu’un peuple immense en ton ombre descend,
Te nourrit de sa chair et t’abreuve de sang…
– Ô bacchante insensible, ô riante faunesse !
Je sais que mon enfance et ma jeune jeunesse