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CONSTANTINOPLE


Vie indolente et chaude, amoureuse et farouche,
Où tout le jour l’on dort,
Où la nuit les désirs sont des chiens, dont la bouche
Se provoque et se mord.

Figuiers d’Arnaout-keuï, azur qui luit et tremble,
Monotone langueur
De contempler sans trêve une rive qui semble
Dédiée au bonheur !

Hélas pourquoi faut-il que les beaux paysages
De rayons embrasés,
Penchent si fortement les mains et les visages
Vers les mortels baisers ?

Tombes où des turbans coiffent les blanches pierres,
Ô morts qui sommeillez,
Ce n’est pas le repos, la douceur, les prières
Que vous nous conseillez !

Vous nous dites « Vivez, ce que contient le monde
De sucs délicieux,
On le boit à la coupe émouvante et profonde
Des lèvres et des yeux.

La beauté du ciel turc, des cyprès, des murailles,
Nul ne peut l’enfermer,
Mais le bel univers se répand et tressaille
Dans des regards pâmés.