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CHANT FUNÈBRE


On ne peut reculer, le temps veut qu’on avance ;
Depuis le lumineux instant de la naissance,
Au travers des jardins, des plaines, du verger,
Par les soirs oppressants, par le matin léger,
Le cœur, empli d’un fort et clair enthousiasme,
Enfiévré de plaisir et joyeux de son spasme,
S’élance dans la vie et bondit vers la mort.
Et l’azur dit : encor ! et le cœur dit : encor !
— Et tandis que l’on va vers le printemps qui germe,
Le temps derrière nous soigneusement se ferme,
Et soudain, sur le bord du gouffre étroit et noir
On arrive, ô soupirs ! ô pleurs ! ô désespoir !
Ô lamentation ! ô colère ! ô prière !
On ne peut s’évader, se jeter en arrière,
Nul bras levé vers l’aube et vers le jour si beau
N’empêche que le sort ne nous pousse au tombeau.
Ceux qui baisaient la vie et souhaitaient l’orage,
Ceux qui, pleins d’un joyeux et confiant courage