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L’ENFANCE

Je n’avais de terreur soudaine, de tristesse,
Qu’au moment frissonnant et frais où le jour baisse,
Et je ne croyais pas qu’il y eût d’autre ennui
Que le souci sacré que nous cause la nuit,
Comme aux oiseaux, comme auxbuissons, comme aux corolles
Je n’avais pas besoin des êtres, des paroles,
Je m’entendais avec tout l’univers si bien
Que mon bras étendu me semblait le lien
Qui rattache à l’espace une petite fille.
Je me disais « Je suis ce qui luit, ce qui brille. »
J’avais choisi pour sœur d’ardeur, de vanité,
La rose, qui se croit le milieu de l’été.
Je vivais sans savoir, sans chercher, sans comprendre.
Quelquefois un parfum trop fort, trop lourd, trop tendre
M’arrêtait et semblait crier : « N’avance pas ! »
Odeur pleine d’amour qui brûlait sous mes pas,
S’élançant du gazon, des dormantes corbeilles,
Comme un nuage ardent de flexibles abeilles.
Je tremblais inquiète au milieu du chemin,
Et la bonté du soir me prenait par la main,
Et me rentrait chez moi par la plus douce allée,
Sans que la Volupté m’eût été révélée…
— Candeur d’un cœur d’enfant, regard clair et glacé,
Je vous adore, hélas avec un front baissé.
Pourquoi vous êtes-vous pour toujours endormie,
Ma douce enfance ? ô mon enfance ! ô mon amie !