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LA TORTURE


« Dans les secrets taillis, dans les herbages longs,
Dans les vivants palais de feuilles, de lumières,
Vous sentiriez frémir, des cheveux aux talons,
L’animale ferveur des passions premières.

« Les graines, les pistils, les pollens exaltants,
Les orages soufrés, les jets de chaude pluie,
L’or mouillé des colzas, les poudres du printemps,
L’oiseau qui sur l’oiseau se caresse et s’appuie,

« La senteur du troène et du marronnier blanc,
L’œillet qui se déroule et donne son essence,
Ne sont que l’âpre appel et le brûlant élan
Du rêve, du plaisir et de la jouissance…

« Ah ! si vous n’aviez pas, mortels las et pensifs,
Déserte la sereine et féconde Nature,
Vous ne souffririez pas des soirs mois et lascifs,
Vous n’endureriez pas cette immense torture,

« Vous ne rêveriez pas, cœurs toujours désolés,
Aux îles de l’Asie, aux rivages mystiques,
Jardins lourds du parfum des ananas mêlés
Aux ébènes en feu des cosses exotiques

« Vous ne rêveriez pas aux soirs blancs de Gâlil,
Aux soirs verts de l’Annam, aux soirs mous des rizières,
Où deux amants blessés par l’épuisant exil
Suffoquent en joignant leurs bouches meurtrières.