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SOIR CANDIDE

Qu’on sera, des genoux à la gorge, un sanglot,
Que l’on aura pitié de soi-même et du monde,
À force de détresse et de douceur profonde,
Qu’on fixera l’espace, anxieux, étonné
De devoir tant souffrir, de vivre, d’être né.
Qu’on aura soif d’un être, et soif jusqu’à son âme,
Soif qu’il souffre, qu’il saigne et meure, qu’il se pâme,
Savoir qu’on le prendra dans ses yeux, dans ses bras,
Qu’ivre, qu’épouvanté d’ardeur, on lui dira :
« Vous êtes mon azur, mon île, mon Asie,
Ô mon amour ! ô mon fardeau de poésie !… »
Savoir que l’univers et ses vastes parois
Oppressant nos soupirs nous sembleront étroits,
Et que le cœur alors, dans cette âpre tourmente,
Détruisant tout à coup la mémoire charmante,
En pleurant, jurera n’avoir jamais goûté
Les candides loisirs d’un soir sans volupté…