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INVOCATION


Redevenez la nue errante, le jardin,
Le citronnier verni dont le toit vert embaume,
Le rosier rond plus fier qu’une cité d’arome,
La candeur de l’oiseau et le ciel du matin !

Que la cendre s’envole et redevienne cendre,
Que mon enfance soit mon enfance, et non plus
Ce lourd entassement de tout ce qui m’a plu,
Et que mes doigts en vain s’efforcent de reprendre,

Que les morts soient les morts, que je ne presse pas
Des ombres sur mon cœur en leur disant « Vous êtes
Mes rêves, mes bonheurs, mes plaisirs, mes tempêtes ! »
Que je ne serre plus des tombeaux dans mes bras.

Et qu’alors, délivrée enfin de cette extase,
Ne portant plus le monde à mon corps attaché,
Je puisse aller m’asseoir sous un arbre penché,
Et de quelque eau nouvelle emplir encor mon vase,

Et libre, ayant brisé tous mes divins soucis,
Ah ! que je sois encor, sous l’aubépine heureuse,
Comme une jeune fille émue et curieuse
Qui tressaille d’espoir vers l’amour imprécis…